U - J'adore courrir jusqu'à la mer. Elle est très fraîche ici et la baie est un vrai champ de course. Je dors chez Paul en ce moment, pour la foire. Remonter du bain est une drôle de paire de manche mais je le fais toujours en courant, je me sens alors si forte, les enfants ne me jettent plus de cailloux. Cela me fait tant plaisir. Nous nous sommes avancés dangereusement dans la baie sur les conseils de Paul qui dit connaître tous les méandres mouvants, les courants ou les vases mais lorsque la mer remonte à la vitesse d'un pêcheur à pied je vois bien qu'il hésite et compte sur moi. il me monte. Vous verriez un peu l'étendue des platitudes. De là-haut il prétexte pouvoir nous guider, par ici et par là et plus vite et encore... Parfois je préfère de loin aller seule, être seule à marée basse au pied de l'eau est sans comparaison avec toute la vastité de tous les champs de la terre. Je dois bien dire que je m'y sens belle et jeune à nouveau, je galope ou trotte le long de la ligne d'eau, du Roselier à Jospinet. Et je rentre trempée au crépuscule, Paul dit adorer les marques de sel sur ma croupe. Il ne demande pas ce que j'ai fait dans la journée, non, il me prépare des "merlans d'automne" avec des champignons et du citron. Il dit qu'il a loué cette maison parce que le vestibule est grand et que j'y passerai certainement. J'y passe. Sa femme est gentille mais je sens bien qu'elle est un peu jalouse, les femmes n'ont pas leur pareil pour déceler les passions d'une chevale. Je dors en bas, à côté des bicyclettes et des tambours cela ne me plaît guère mais il dort avec moi, dans la paille qu'il fait venir tous les jours tandis que je cours, et nous buvons son armagnac de temps à autre - pour savourer les odeurs m'a-t-il dit. Cette fichue liqueur me procure des rêves hilarants à en hennir. Ainsi je me réveille pliée de rire. Je ne comprends pas, Paul me délaisse largement pourtant. C'est sans doute l'air marin et son iode que je prends à trop forte dose, en tous cas ça me donne la forme. L'autre matin en me promenant par un détour près du cimetière j'ai aperçu un cheval rustique sur la verte colline, plutôt moche mais très matraqué. Et comme je riais encore d'avoir rit et que j'allais lentement je lui ai fait beaucoup d'effet. Oui je fais comme les lycèennes d'ici qui marchent lestement en écoutant leur mp3, je ne me soucie pas. Je dirai d'ailleurs à Paul de m'acheter un de ses petits lecteurs de musique pour voir, moi qui suis si peu mélomane depuis les musiques militaires. Lorsque je descends à la mer je passe sur le pont par-dessus le double-pont de la nationale qui passe déjà à soixante-dix mètres de hauteur dessus les vallées... Et me voilà sur ce petit pont surréaliste de la rue de Rohannec'h, moi la chevale qui attire l'attention de tous les automobilistes, il y a bien longtemps que je n'attire plus les chevaux, à part ce rustique à la manque dans son enclos. Je sais je me déprécie. Je ne vous parle même pas de la tête du boucher quand il me voit avec Paul... Oh et puis après tout, je crois qu'un de ces matins j'irai me frotter la croupe à la clôture.
- Mais qu'est-ce que vous fichez Uranus ?
U - Hein ? quoi ! ai-je parlé maintenant ?
- Oui, des mots.
U - Comment ça ? dites ce que vous avez entendu.
- Vous parlez de boucher et de clôture mais c'est très confus.
U - Bah.
- N'êtes-vous pas déprimée en ce moment Uranus ?
U - Laissez-moi dormir. Je rêvais bien.
- Demain je vous emmènerai visiter le cimetière, le théatre à l'italienne et la maison de Louis Guilloux.
U - Vous ne regarderez pas la télévision ce soir ? il y a un téléfilm sur Max.
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"Max Jacob faisant le portrait de Louis Guilloux" 1939, musée des beaux-arts de Quimper. René-Théophile SALAUN a peint Max Jacob en train de faire le portrait de son ami Louis Guilloux dans la maison de ce dernier à Saint-Brieuc.